Des objets pour l’ultime voyage
Tout a commencé par des recherches dans le cadre de mon projet Micheline, une fiction de la mobilité inspirée des murmures d’essaims, des flux de circulation et de la thermodynamique. J’y explorais des véhicules collaboratifs, des vortex d’énergie, des mouvements partagés.
C’est à cette époque que j’ai mené une veille approfondie sur les technologies V2X (Vehicle-to-Everything) — V2V, V2I, V2P, V2H… Toutes ces promesses de communication entre véhicules, infrastructures, piétons, habitats, forment un écosystème en pleine émergence. Mais un constat s’est imposé : en cas de défaillance réseau ou de brouillage, il n’existe pas de solutions robustes, low-tech, pour permettre aux véhicules de se reconnaître entre eux de manière sûre.

C’est dans ce vide que l’idée des nervures, inspirées des coques de noix et des masques rituels, est née. Une signature physique, lisible à l’œil nu comme à la machine, garantissant une identité sans infrastructure.
En 2020, j’ai concrétisé cette intuition sous forme d’une première sculpture de véhicule imprimée en 3D, illustrant une nouvelle typologie de transport capable d’évoluer en grappe — qu’il s’agisse de voitures, de vélomobiles ou même de colis Amazon. Cette forme initiale, fusion de symboles et de flux, traduisait déjà l’idée d’un corps collectif et autonome. Elle a été exposée à Cap 15 à Marseille.
La disparition de mon père a ouvert en moi un autre chantier : celui du design d’héritages. Un projet est né, que j’appelle Crest & Code, dans lequel je questionne la manière dont on transmet — pas seulement des biens ou des noms, mais des gestes, des récits, des symboles, des valeurs. J’ai commencé à envisager mon rôle de designer comme celui d’un médiateur de trajectoires : un accompagnateur de traces, de rituels, de processus de passage. Cela m’a conduit à imaginer des ateliers de successions réussies, à concevoir des outils pour faciliter la médiation entre héritiers, à travailler sur des héraldiques contemporaines, à organiser la transmission d’assets digitaux, mais aussi à proposer des espaces où l’on peut interroger ensemble ce que l’on souhaite réellement transmettre — et comment.
Une des pistes explorées dans ce cadre est celle de l’avatarisation posthume, qui s’appuie sur les technologies d’intelligence artificielle pour faire émerger une présence numérique sensible, capable de transmettre un ton, une mémoire, une manière d’être. Il ne s’agit pas de faire “revivre”, mais d’orchestrer une forme d’écho, une persistance relationnelle, un point de contact entre générations — une manière de continuer la conversation.



C’est dans cette disposition intérieure qu’a surgi la rencontre avec Caroline Pelletti et son projet de Vaisseaux Funéraires. Là où je projetais des machines légères pour demain, j’ai vu apparaître des objets silencieux, denses, destinés au retour. Une forme d’écho inversé : les vaisseaux pour les vivants devenaient vaisseaux pour les morts. Et dans cet espace, au Bunker des Calanques, une résonance intime s’est installée.
Un design symbolique et sensible
Chaque urne est pensée comme un objet rituel contemporain. Sa structure est simple mais puissamment évocatrice : une coque ou cosse protectrice, et en son centre une mandorle, forme ancestrale, zone de passage, qui accueille l’essence.
Les premières pièces ont été réalisées en béton de plâtre et marbre reconstitué pour la coque, et en polymère de maïs biodégradable pour la mandorle. D’autres matières viendront enrichir cette recherche : je développe notamment une mandorle capable de s’immerger en un temps maîtrisé, pour accompagner les cérémonies en mer.



Formats et usages : apprivoiser l’absence
Ces vaisseaux ne se déclinent pas selon la taille du défunt, mais selon les usages à inventer. Ils peuvent être placés dans un columbarium, installés sur une cheminée, portés autour du cou sous forme de médaillon, ou simplement tenus dans la main comme des talismans à apprivoiser.
Chaque pièce est un fragment de présence.
Un site dédié proposera bientôt à la vente ces objets, accompagnés d’autres créations conçues pour enrichir le rituel, parmi lesquelles autels, reliquaires, objets compagnons ou artefacts de transmission.
Un lien phygital entre matière et mémoire
Les législations funéraires varient d’un pays à l’autre, mais presque toutes mentionnent la nécessité d’un dispositif d’identification des urnes. Il peut s’agir d’une plaque gravée, d’une étiquette apposée, ou, dans certains cas spécifiques comme en Belgique, d’une pierre d’identification insérée dans l’urne.
Mais ces identifiants sont rarement conçus pour survivre à long terme, ni pour être lus en l’absence d’un registre externe.



C’est ici que les nervures interviennent. Générées de manière unique sur chaque urne, elles constituent un identifiant physique, autonome, durable, ouvrant une passerelle vers un caveau numérique sécurisé. Ce lien entre la matière et la mémoire permet d’y rassembler lettres, voix, images, données choisies — et peut même, à terme, dialoguer avec un avatar augmenté.
Je souhaite approfondir cette dimension dans le cadre de résidences artistiques ou scientifiques, et explorer avec d’autres cette tension féconde entre matérialité, mémoire et transmission. Si cette démarche résonne en vous, je serais heureux de vous la présenter, de partager les intentions, les formats et les fonctionnements.
Remerciements
Ce travail n’aurait pas été possible sans les gestes patients et inspirés d’Olivier Houdusse et Aymeric Louis, sans la confiance d’une première personne ayant choisi un de mes vaisseaux pour son dernier voyage, sans l’élan de Garance Arcadias qui m’a conduit jusqu’à Caroline, sans le regard photographique de David Girard, ni l’aide précieuse d’Anne-Laure Colin pour le montage de l’installation au Bunker des Calanques.
Un immense merci à Kate Houben de la société Le Cerf Blanc, pour sa disponibilité, sa parole rare, et son écoute bienveillante.
Et aujourd’hui, en voyant le résultat final… je pense à lui. J’aurais aimé lui offrir l’un de ces vaisseaux.
Investir dans l’avenir, c’est miser sur l’efficacité, l’agilité et la créativité. Moins de temps perdu, plus de valeur ajoutée et d’idées inspirantes. Avançons ensemble avec style, précision et impact !